
Pour moi, me maquiller n'est pas anodin. C'est un rituel qui me permet, chaque matin, de m'accepter. Je me compose un visage, le visage de Morgane, de celle qui n'était rien, au réveil, parce qu'elle ne voulait rien être, qui ne voulait rien, et surtout pas se lever. Je m'habille sans vraiment me regarder, ce serait faire face à la moi qui n'est pas maquillée et qui me révulse par ses graisses et ses maigreurs aux mauvais endroits. Le maquillage me permet de tenir. C'est un processus qui, grâce à la poudre de ma mère, me fait oublier mes cauchemars. Efface lentement les cernes violettes, profondes. Il paraît que les femmes qui ont des origines du Sud ont facilement des cernes, ce qui m'emmerde profondément. Je n'ai pas besoin de ça pour avoir l'air d'une clocharde, note. J'applique ensuite soigneusement du blanc sur mes paupières, pour les faire ressortir, estompe un peu. Efface, efface. C'est l'étape du crayon qui est importante. La plus importante. Avec quelques gestes, cette puissance un peu ridicule et enivrante, de se dire que tous les petits défauts d'un visage partent grâce à ça. Je ne vois plus mon nez, je ne vois pas les veines qui ont éclatées dans mes yeux, je ne vois plus les heures passées à pleurer qui ont alourdi et fait gonfler mes paupières. Et là, il y a une métamorphose que je remarque, comme chaque matin.
Je me regarde. Je regarde l'autre qui n'est rien et qui se contente de jouer le rôle de Morgane aujourd'hui encore. Mes yeux me donnent un air de colère permanente, mais passons, ça n'est pas bien grave. Et c'est à ce moment-là que la magie opère. Que la colère que ressent l'autre qui n'est rien s'estompe. Elle accepte de laisser la place à Morgane. Un petit sourire, et plus rien. Mes lèvres sont gercées, et ça, je ne peux pas l'accepter. Je les laisse de côté pour l'instant, attrape mon mascara. « Tu as de longs cils. » Ne sois pas jalouse, puisqu'à cause d'eux, mes cernes se voient encore plus. Toi, tu as les yeux bleus et je te les jalouse. C'est comme ça. Et, en enduisant soigneusement chaque cil de mascara, j'oublie qu'on a rompu. Que je suis malheureuse. Que je me sens seule. Que j'ai passé la nuit à pleurer en écoutant REGRET ci-dessous et les autres terribles de Gazette. Mes yeux sont un peu plus vivants. Je retrouve ce visage, celui de Morgane. Et je souris, parce que Morgane doit sourire. Morgane doit dire en souriant qu'elle a passé un bon week-end. Qui voudrait de l'autre qui n'est rien, de toute façon ? La petite qui peste contre son visage, sa taille, ses goûts, sa colère, son amour, sa tendresse, ses qualités, sa valeur. Moi je ne la veux pas. Je m'en dispense pour la journée. C'est bien pour ça que je trouve le maquillage formidable, je peux m'enfuir, la fuir. Même si, en rentrant, en enlevant les poudres, le crayon, les couches de mascara, je la retrouve et dois l'affronter. Sinon, elle se manifeste trop brutalement, réclame des choses que je ne veux pas et qui me font souffrir.
La solution serait peut-être de réconcilier l'autre qui n'est rien, Morgane et moi. Mais je suis sans armes, et je ne peux pas les détruire, parce qu'elles sont moi, et que, même si je ne suis pas entière aujourd'hui, elles m'aideront à l'être demain. Peut-être. Je voulais devenir entière en me tatouant, en répétant un ancestral passage à l'âge adulte, à avoir mal pour devenir responsable. Ça m'a réduite en miettes plus qu'autre chose. Ce n'est pas un acte comme celui-ci qui règle les choses, et j'en fais les frais. Il m'aide, cela dit. Il m'aide bien plus que je ne l'aurais cru, l'ancienne cicatrice est devenue papillon. Elle fait partie de moi et moi, je vais pouvoir vivre et laisser s'envoler les mauvaises choses. Et quand je serais entière, réelle, alors je serais devenue indépendante de ce rituel, de toi, de ma colère. Et à ce moment-là, peut-être, je reviendrais vers toi. Ça n'avait aucun sens de t'offrir mon corps et mon cœur si je t'offrais des parties viciées et morcelées. Ça n'avait aucun sens de t'offrir autant d'amour et autant de colère à la fois. J'en suis désolée. Je réalise lentement que toutes les choses que je n'ai jamais sues te pardonner et qui m'ont faites souffrir n'étaient que des broutilles, comparées à la douleur qui me ronge maintenant. Je deviendrai adulte quand elle sera enfin apaisée. J'ai hâte.
Je me regarde. Je regarde l'autre qui n'est rien et qui se contente de jouer le rôle de Morgane aujourd'hui encore. Mes yeux me donnent un air de colère permanente, mais passons, ça n'est pas bien grave. Et c'est à ce moment-là que la magie opère. Que la colère que ressent l'autre qui n'est rien s'estompe. Elle accepte de laisser la place à Morgane. Un petit sourire, et plus rien. Mes lèvres sont gercées, et ça, je ne peux pas l'accepter. Je les laisse de côté pour l'instant, attrape mon mascara. « Tu as de longs cils. » Ne sois pas jalouse, puisqu'à cause d'eux, mes cernes se voient encore plus. Toi, tu as les yeux bleus et je te les jalouse. C'est comme ça. Et, en enduisant soigneusement chaque cil de mascara, j'oublie qu'on a rompu. Que je suis malheureuse. Que je me sens seule. Que j'ai passé la nuit à pleurer en écoutant REGRET ci-dessous et les autres terribles de Gazette. Mes yeux sont un peu plus vivants. Je retrouve ce visage, celui de Morgane. Et je souris, parce que Morgane doit sourire. Morgane doit dire en souriant qu'elle a passé un bon week-end. Qui voudrait de l'autre qui n'est rien, de toute façon ? La petite qui peste contre son visage, sa taille, ses goûts, sa colère, son amour, sa tendresse, ses qualités, sa valeur. Moi je ne la veux pas. Je m'en dispense pour la journée. C'est bien pour ça que je trouve le maquillage formidable, je peux m'enfuir, la fuir. Même si, en rentrant, en enlevant les poudres, le crayon, les couches de mascara, je la retrouve et dois l'affronter. Sinon, elle se manifeste trop brutalement, réclame des choses que je ne veux pas et qui me font souffrir.
La solution serait peut-être de réconcilier l'autre qui n'est rien, Morgane et moi. Mais je suis sans armes, et je ne peux pas les détruire, parce qu'elles sont moi, et que, même si je ne suis pas entière aujourd'hui, elles m'aideront à l'être demain. Peut-être. Je voulais devenir entière en me tatouant, en répétant un ancestral passage à l'âge adulte, à avoir mal pour devenir responsable. Ça m'a réduite en miettes plus qu'autre chose. Ce n'est pas un acte comme celui-ci qui règle les choses, et j'en fais les frais. Il m'aide, cela dit. Il m'aide bien plus que je ne l'aurais cru, l'ancienne cicatrice est devenue papillon. Elle fait partie de moi et moi, je vais pouvoir vivre et laisser s'envoler les mauvaises choses. Et quand je serais entière, réelle, alors je serais devenue indépendante de ce rituel, de toi, de ma colère. Et à ce moment-là, peut-être, je reviendrais vers toi. Ça n'avait aucun sens de t'offrir mon corps et mon cœur si je t'offrais des parties viciées et morcelées. Ça n'avait aucun sens de t'offrir autant d'amour et autant de colère à la fois. J'en suis désolée. Je réalise lentement que toutes les choses que je n'ai jamais sues te pardonner et qui m'ont faites souffrir n'étaient que des broutilles, comparées à la douleur qui me ronge maintenant. Je deviendrai adulte quand elle sera enfin apaisée. J'ai hâte.
Et maintenant, regardez ça. C'est ma seule requête.
http://www.youtube.com/watch?v=CkLOg5IPVoY
REGRET - The GazettE.