samedi 18 décembre 2010

One part of a chain



- Qui suis-je ? Qui suis-je censée incarner ? Que voyez-vous lorsque vous contemplez mon visage ? Mon visage ? … Il y a si longtemps que je ne l'ai pas vu. Non, ce n'est pas triste. Je ne m'y intéresse pas. Le piège c'est de se trouver une personnalité en se regardant. Se dire : « Tiens, j'ai de grands yeux, peut-être suis-je curieux. » Comment ? Non. Ce n'est pas une description de mes yeux, je vous l'assure. Aucun intérêt. La forme masculine ? Je l'ai choisi au hasard. Ce n'était pas masculin, c'était neutre, comme dans la langue allemande. Passons. Non. Non, je vous dis. Mon origine n'a aucune espèce d'importance, puisque je suis ici pour jouer. Il ne faut ni avoir d'origine, ni de personnalité, ni de visage. Et vice-versa jusqu'au dernier. Mon corps ? Oui, j'en ai un. Ah, c'était censé être drôle. Je n'ai pas le sens de l'humour ? Mais donnez-moi une pièce comique à apprendre et je vous ferai rire. Comment ? Un trait de ma personnalité ? Studieux ? Mais non, je me tue à vous le répéter. Jouer est ce que je fais, acteur est ce que je suis. Je bois les scripts comme on boit de l'eau; c'est un besoin vital. Vous comprenez, maintenant ? Quoi ? Je suis censé me connaître pour jouer ? Mais d'où sortez-vous donc ? Un fort tempérament, jouer un premier rôle ? Pas de ça chez nous ! Un acteur, un vrai, c'est celui qui est invisible en ville et qui s'illumine sur scène ! Comme un sapin de Noël ? Merci beaucoup pour la comparaison. Où en étais-je...? Je vous demande pardon ? Ah, oui, ces défauts-là, je les reconnais. Vaniteux, et qui aime s'écouter parler, je peux me reconnaître dedans, en effet. Vous avez l'air triomphant... Je dis que je me reconnais, mais je vois aussi les autres acteurs. Nous sommes tous sans substances, avant de nous nourrir de notre rôle. C'est comme cela, c'est bien assez, cela nous suffit. Nous l'avons choisi. Tenez, vous tentez de me connaître mais vous allez rapidement abandonner, car on se détourne vite de ceux qui ont laissé leur substance derrière eux. Je me suis défait de tout ce qui était moi pour être acteur. Ce n'est pas inné, ce détachement. Il faut avoir un plus pour faire ce que je fais, jouer, et ce plus se trouve dans le négatif. Je m'enlève des choses. Par exemple, j'ai mis longtemps à ne plus connaître mes mains. Vous pensez que cela est trop difficile ? Nous observons beaucoup trop nos mains, notre peau d'orange vers le bout des doigts, les cuticules, les petites blessures involontaires qui restent et s'installent, le tracé des veines sur le dos de nos mains. Nous les observons trop, si bien que nous perdons peu à peu l'essence même de nos mains. Mais, paradoxalement, j'observe si peu mes pieds que je ne saurais vous dire s'ils sont longs, ou plats, ou sains, ou si j'ai des mycoses. On apprend lentement à ne plus rien ressentir de son corps. Pourquoi vous énervez-vous ? Cela vous paraît contre-nature ? Vous n'êtes pas acteur, que pouvez-vous voir ou juger de moi ? Je sens mon corps seulement quand il n'est pas mien, voilà tout. Je l'habite quand je joue un rôle. Vous trouvez cela absurde, mais sachez que votre avis, l'avis des gens comme vous m'importe peu. Je ne veux que vos yeux et votre attention, le reste on le jette aux ordures, au feu, aux orties ! Quoi . J'ai donc l'air heureux ? Ah, je n'ai pas le temps d'approfondir la question, mais ne vous imaginez pas avoir percé ma carapace de néant. Je dois mettre mon costume. Comment ? Qui suis-je ? Ce soir je suis Ophélie.

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Pour Yaki, ma mère, ma soeur. Il y a longtemps, une longue conversation sur le théâtre. J'ai hâte de te voir.

jeudi 16 décembre 2010

Without you I'm nothing

Là, ça commence par la peine. Tu es enroulée dans ta couette, devant le radiateur soufflant, parce que tu ne manges plus assez pour produire de la chaleur. Tu vois le bordel sur ton bureau, sous ton bureau, sur ton lit, sur ton pouf, partout. Tu te sens mal, tu étouffes. Tu manques de vomir à la vue d'une tasse de thé laissée là depuis une semaine, surtout quand tu t'aperçois que la surface est recouverte de moisi. Voilà. Le lieu où tu dors est à ton image. Parfait, parfait.
Tu as un étrange mal de ventre, comme si les parois de ton estomac fondaient sous l'acide. Tu as mal, vraiment mal. Tu te prends une bonne déprime dans la tête, dans le silence parce que surtout, surtout, aucune chanson ne t'appelle. Il n'y a rien d'assez fort pour calmer la douleur. Tu regardes le réveil, tu ne veux parler à personne, tu as peur de dormir parce que le cauchemar de la veille te reste encore sur le cœur. Ton réveil sonne dans trois heures exactement. Tu soupires.
Le mal-être. Tu voudrais ne jamais rentrer chez toi, ne jamais remettre les pieds dans cette chambre repeinte par leurs soins. Tu as flanqué les cadres par terre mais la douleur ne s'est pas affaiblie, au contraire. Tu es en colère contre le silence. Tu voudrais bien rester dans la bulle que t'offre l'école, là où est ton autre vie. Tu tentes de repenser à la Fête des Lumières, qui a été si bénéfique, pour toi. De pouvoir rire de tout (surtout de tout) avec des gens qui sont drôles et qui ne se prennent pas la tête. C'était magnifique, mais ça ne suffit pas pour t'apaiser.
Ta peine se nourrit d'elle-même. Alors tu relis des manga, un peu au hasard. Tu écris tes brèves, deux, trois, avant de refermer ton ordinateur d'un claquement sec.


Mais là, ça va mieux.

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(Interdiction de prendre la photo, j'dis ça comme ça, mais c'est mon boulot et en plus des gens de ma classe.)